Le cinéma tunisien

  • Mis à jour : 6 décembre 2018

HISTOIRE DU CINEMA TUNISIEN

Le cinéma existe en Tunisie depuis son apparition à l’échelle mondiale. Dès 1896, les frères Lumière tournent des vues animées dans les rues de Tunis. En 1897 ont lieu les premières projections cinématographiques à Tunis, organisées par Albert Samama-Chikli et le photographe français Soler.

- LES DEBUTS

En 1919, le premier long métrage réalisé sur le continent africain, « Les Cinq Gentlemen maudits » de Luitz-Morat, est tourné en Tunisie.

Dès 1922, le précurseur du cinéma tunisien et génial touche-à-tout, Samama Chikly, auteur des premières prises de vues sous-marines et des premières prises de vues aériennes (en ballon), tournait un court métrage de fiction« Zohra ». Il raconte l’histoire d’une jeune Française qui tombe d’un avion en Tunisie et qui est recueillie par une tribu de bédouins. Le chef du village la prend sous sa protection et elle devient partie intégrante de la communauté qui lui donne le nom de Zohra.

Le film est une fresque intéressante des us et coutumes des villages bédouins du début du 20ème siècle. Albert Samama-Chikly, l’a produit et dirigé mettant en scène sa fille, Haydée.

On dit qu’un grand réalisateur hollywoodien avait proposé à Haydée de tourner un film mais que son père s’y était opposé parce qu’elle n’avait que 15 ans à l’époque. Pour se rattraper, il lui a créé un Hollywood tunisien et a fait d’elle la star de ses films. Haydée Chikly-Tamzali est donc de ce fait, la première actrice de cinéma tunisienne.

En 1924, il réalise un deuxième film de fiction, « Aïn el Ghazal ou La Fille de Carthage ». Drame de la vie arabe.

En 1939, « Le Fou de Kairouan » , premier film tunisien en langue arabe, est tourné à Kairouan. Le sujet de "Aïn el-ghezal", le mariage forcé, préfigure déjà ce qui sera l’un des thèmes dominants du cinéma tunisien : la condition de la femme.

En 1927, la première société tunisienne de distribution de films, Tunis-Film, débute ses activités.

Plus tard, en 1949, soit sept ans avant son indépendance politique, la Tunisie était déjà l’un des pays du continent africain possédant le plus grand nombre de ciné-clubs. Tahar Cheriaa, président de la fédération des ciné-clubs, devenu directeur du cinéma au Ministère de la Culture, fut tout naturellement le "père" des premières productions tunisiennes (le premier long métrage tunisien de fiction « L’Aube » de Omar Khlifi date de 1967) et le créateur du premier festival panafricain et panarabe de l’Histoire, les "Journées cinématographiques de Carthage" (JCC) dont le succès populaire n’a pas faibli depuis 1966.

- L’INDEPENDANCE

Les ciné-clubs et les JCC ont contribué à former à la fois des cinéastes et un public exigeants. D’emblée, il ne fut pas question de s’aligner sur l’unique "vieux" cinéma arabe existant (le cinéma commercial égyptien), grand pourvoyeur de mélodrames et de films musicaux parmi lesquels essayaient d’émerger difficilement quelques "auteurs". Il s’agissait plutôt pour la majorité des cinéastes de réussir, chacun selon son style, des films etc.) originaux, marqués du sceau de leur réalisateur et visant la qualité artistique déjà atteinte au niveau mondial et cela, à quelques exceptions près, sans vouloir céder aux "facilités" qui auraient été payantes auprès du seul public local. C’est pourquoi à la différence de ses voisins maghrébins qui, pour des raisons diverses, furent tentés suivant les périodes par une veine "épique" ou par une veine "populiste", ces deux catégories sont pratiquement absentes de la filmographie tunisienne, où dominent de façon presque individualiste, les "films d’auteur".

En 1966, le premier long métrage tunisien (95 minutes) en noir et blanc est réalisé et produit par Omar Khlifi  : « L’Aube » tourné en 35 millimètres. En 1967, le premier film tunisien d’animation en couleurs voit le jour : le court métrage « Notre Monde » réalisé par Habib Masrouki.

Habib Masrouki

Les films sont souvent très différenciés les uns des autres (les choix esthétiques d’un Nacer Khémir n’ayant rien à voir, par exemple, avec ceux de Nouri Bouzid). A tel point que, malgré un "air de famille" général et des recoupements évidents, on a pu dire que pratiquement chaque réalisateur tunisien représentait une "école" différente à lui tout seul, comme en témoignent les œuvres présentées à Marseille, qui ont toutes été des événements à leur sortie.

Cette liberté de choix a été favorisée par le fait que la Tunisie possède également une censure cinématographique (différente de la censure télévisuelle) qui est indubitablement une des plus souples du monde arabe : des scènes qui sont interdites dans d’autres pays arabes (et qui y sont coupées quand les films tunisiens y sont projetés révélant la célébration de la nudité féminine ("Halfaouine : l’enfant des terrrasses"),

L’homosexualité ("L’Homme de cendres") : Un jeune ébéniste de Sfax, Hachemi, doit suivre la décision de ses parents et se marier. Violé dans son enfance par un contremaître, Ameur, comme un autre garçon, Farfat, il reste traumatisé.

La répression politique ("Les Sabots en or")en 1988 . Synopsis :Youssef Soltane, un intellectuel de 45 ans, est le pur produit d’une génération qui a connu les périodes euphoriques des grandes idéologies des années 1960 et aussi leur faillite collective. Youssef fut emprisonné longtemps et torturé pour ses activités d’opposant politique. Sa liaison tumultueuse avec Zineb, la jeune et belle bourgeoise, qui lui a fait découvrir l’amour et l’avait hebérgé et caché à l’époque de ses activités clandestines, ne lui vaut plus que des déboires. Quelques mois après sa sortie de prison, son épouse répudiée, Fatma, est morte, laissant les trois enfants à la garde de leur grand-mère. Au cours de cette longue nuit d’hiver, celle de la fête de l’Achoura, Youssef va errer à la recherche d’un refuge affectif, d’une tendresse, en proie à toutes les interrogations qui secouent sa mémoire.

Le tourisme sexuel ("Bezness") en 1992. Synopsis = Fred, photographe, est en Tunisie pour faire un reportage sur les « bezness » (hommes prostitués). Décalé dans cet univers où l’image est une violation et sa représentation un tabou, il est le protégé de Roufa. Beau et brun, Roufa vit de son corps. Son rêve : quitter Sousse. L’Europe l’attire et le fascine. Sa morale et son comportement sont doubles. Très permissif avec sa clientèle, il est conservateur et répressif avec les siens, surtout avec Khomsa, sa jeune fiancée. Ce film est le portrait d’une jeunesse aux prises avec les effets pervers du tourisme et confrontée aux contradictions entre traditions et modernité, Orient et Oc

La misère des quartiers déshérités ("Essayda") en 1996. Synopsis =
Célèbre artiste peintre vivant à Tunis, Amine, la quarantaine, prépare une exposition mais traverse une crise de création. Il rencontre Nidal, un adolescent délinquant qui mendie pour subvenir aux besoins de sa famille, et battu par son père chômeur et alcoolique.Intrigué, Amine suit Nidal jusqu’à Essaïda, quartier populaire de Tunis où réside le jeune homme. Bouleversé par le quartier et ses habitants, Amine décide de s’y installer pour commencer sa nouvelle vie.

Le droit à l’épanouissement sexuel de la femme ("Fatma") en 2001.Synopsis = A Sfax, Fatma, une adolescente de 17 ans dont la mère est décédée, vit dans une maison avec son père, ses frères, ses soeurs et un cousin, Taher, hébergé pour quelque temps. Une nuit, celui-ci la viole.
La jeune fille choisit de se taire et la vie continue. Après avoir obtenu son bac, Fatma part étudier à Tunis. Nommée institutrice à Soundous, un petit village retiré du Sud, elle fait la connaissance d’Aziz, un jeune et brillant médecin dont elle tombe amoureuse. Mais la société traditionnelle dans laquelle ils vivent fragilise leur relation.

Les possibles effets dévastateurs du tourisme étranger ("Soleil des hyènes") en 1977 . Synopsis = Dans un petit village de pêcheurs tunisien qui vit en autarcie, des promoteurs allemands mettent en place une infrastructure hôtelière, avec la complicité des édiles locaux. La vie des villageois s’en trouve bouleversée.

Le racisme subi par les émigrés ("Traversées") en 1982 - Synopsis =
Dans le film, un Slave, probablement Polonais, et un Arabe sont refoulés lorsqu’ils tentent de rejoindre Douvres le 31 décembre 1980, mais également interdits de retour à Ostende où ils arrivent le 1er janvier 1981, leurs visas ayant expiré. Ils se retrouvent alors confinés dans le bateau qui les a transportés. Commencent « alors un autre temps, une autre perception de soi et des autres, de la vie, de l’existence, de la mort… »2. Ce ballottement entre deux rives dont ils sont exclus, au rythme des traversées du car-ferry dont ils ne peuvent descendre, « va permettre aux deux hommes de se connaître et de se découvrir »

Les abus sexuels sur les employées de maison ("Poupées d’argile") en 2002 - Synopsis = Omrane, la quarantaine, ancien employé de maison, se sent affranchi en devenant courtier de filles de ménage, « bonnes à tout faire » qu’il transporte de son village natal — qui est célèbre pour ses femmes dépositaires du savoir-faire et de la technique de la poterie berbère — vers des familles de parvenus nouvellement installés dans les quartiers faussement huppés de la capitale. Il se porte garant devant les mères de la vertu et des mensualités de leurs filles. Rebah, à la beauté rétive, la plus exubérante de ses recrues submergée par les rudes besognes ménagères et se sentant graduellement happée par la brise des délices de la vie et par le vent de la liberté, prend la poudre d’escampette. C’est alors qu’Omrane part à sa recherche à travers la ville sur son triporteur, accompagné de sa nouvelle recrue Fedhahe (9 ans). En attente de placement, la petite fille découvre la ville, pétrissant la motte d’argile emportée dans son balluchon et modelant des poupées qu’elle écrase une fois finies. Quand Omrane découvre Rebah, il la trouve enceinte. Tout va basculer dans leurs vies... Les remords d’Omrane, les vicissitudes de Rebah, l’argile pétrifiée entre les doigts de la petite Fedhahe, vont peut être ouvrir devant les trois personnages le chemin tant recherché... celui de la liberté comme la brise et le vent.

Tous ces films ont été finalement acceptées par la censure tunisienne dès lors qu’elles étaient exprimées par des artistes et étaient nécessaires à la cohérence de leur œuvre.

Cela aux côtés d’œuvres moins directement "subversives" et devenues des classiques, comme celles contemporaines de la meilleure veine néo-réaliste arabe ("Sous la pluie de l’automne"), de l’avant-gardisme thématique et formel des "Nouvelles Vagues" mondiales des années 60 ("Mokhtar"), des adaptations innovatrices parties de la littérature intimiste ou satirique tunisienne ("Le réverbère"

et "Le pique-nique") ou des évocations nostalgiques plus récentes de l’enfance et du cinéma d’antan ("La boîte magique").

Tous ces facteurs - un large public "cinéphile" et une large liberté d’expression autorisant des sujets audacieux osant ce qui demeurait "tabou" ailleurs , ainsi que le rejet économique du "tout étatique" au profit du soutien au secteur privé, permettant l’émergence de producteurs particulièrement dynamiques malgré les difficultés (Ahmed Attia, Hassan Daldoul, Selma Baccar, et aujourd’hui Dora Bouchoucha, Ibrahim Letaïef, Nejib Belkadhi, etc.- , ont abouti, durant la décennie 1986-1996, à une sorte d’âge d’or pour les créateurs et le public. Certes, durant la décennie précédente, le cinéma tunisien avait déjà brillé au niveau festivalier international avec plusieurs films dont "Les Ambassadeurs" (1976), - "Soleil des
hyènes"
(1977), "Aziza" (1980), "La Trace" (1982), "Traversées" (1982), ou "Les Baliseurs du désert" (1984), tous abondamment primés dans de nombreuses manifestations.

Le miracle a été qu’à partir de "L’Homme de cendres" (1986), et contrairement à ce qui se passait dans la plupart des pays du Sud où les films d’auteur restent confinés dans les ghettos des salles d’Art et d’Essai ou exclusivement destinés au "prestige" des festivals étrangers, le public tunisien a fait un triomphe sans précédent aux films nationaux, (pulvérisant de loin tous les records d’audience précédemment obtenus par les films hollywoodiens ou égyptiens), même à des films "difficiles", comme "Chich Khan" (la nostalgie de la présence italienne en Tunisie et du cosmopolistisme perdu)

ou "Soltane el-medina" (la dégradation obscurantiste de la ville arabe par l’exode rural),

et "inventant" ainsi une catégorie cinématographique inédite, celle des "films d’auteur de masse" ! Ce triomphe local a été doublé d’un triomphe extérieur avec une véritable distribution commerciale à l’échelle internationale (dépassant ainsi de loin la simple "exposition festivalière") obtenue par des films déjà "recordmen" chez eux comme "Les Silences du palais" - Synopsis = Une jeune femme, Alia, parcourt un palais en ruines dans la banlieue de Tunis et se souvient de ses quinze ans, lorsque sa mère, Khedija, était en ce même lieu une servante du bey. Alia découvrait alors deux mondes : celui des maîtres, les nantis, et celui des servantes, les corvéables...

(ou, plus tard à l’étranger, "Satin rouge"), les auteurs de ces films se voyant également souvent honorés par une invitation à siéger dans les jurys off

La moyenne annuelle de la production cinématographique tunisienne est de trois longs métrages et six courts métrages par an qui reste loin de son objectif initial de produire cinq longs métrages et dix courts métrages par an. Ceci est en partie expliqué par l’absence de laboratoire pour la phase de post-tournage, ce qui oblige un transfert des films à l’étranger et occasionne une perte de temps et des frais en devises. À partir de novembre 2006, un laboratoire tunisien privé est mis en service à Gammarth par Tarak Ben Ammar, associé de Silvio Berlusconi, à la tête du groupe Quinta Communications qui a produit 65 films internationaux et qui dirige un groupe financier européen dans le secteur télévisuel et des laboratoires de cinéma.

Parmi les plus connus figurent « Un été à La Goulette » (1996) de Férid Boughedir qui fait un flashback sur la petite communauté de La Goulette à une époque révolue où musulmans, juifs et chrétiens cohabitent dans la tolérance et la bonne humeur.

« Halfaouine, l’enfant des terrasses » (1990) du même Boughedir a sans doute été le plus grand succès du cinéma tunisien. Il met en scène un enfant dans le Tunis des années 1960.

Nouri Bouzid porte quant à lui sur la réalité tunisienne un regard sans complaisance. « Dans L’Homme de cendres » (1986), il traite de la pédophilie, de la prostitution et des relations entre les communautés musulmane et juive. Dans « Bezness » (1991), c’est le tourisme sexuel qui se trouve dans sa ligne de mire. Dans « Les Ambassadeurs » (1975), Naceur Ktari met en scène des émigrés maghrébins en France qui y sont confrontés au racisme. Ce film obtient le Tanit d’or du meilleur film aux Journées cinématographiques de Carthage en 1976, le Prix spécial du jury du Festival international du film de Locarno la même année et est sélectionné au Festival de Cannes 1978 dans la catégorie « Un certain regard ».

« Les Silences du palais » (1994) de Moufida Tlatli a quant à lui été primé par plusieurs jurys internationaux. On y découvre la vie dans une maison aristocratique de Tunis à travers les yeux d’une jeune fille.

En 2007, le paysage cinématographique tunisien voit la sortie de plusieurs films recevant un certain succès auprès du public tel que « Making of » de Bouzid ou « VHS Kahloucha » de Nejib Belkadhi.

- PRODUCTION DOCUMENTAIRE

Le documentaire tunisien doit sa réputation à des cinéastes comme Mahmoud Ben Mahmoud, Nouri Bouzid, Elyès Baccar, Ibrahim Letaïef, Nadia El Fani, Ridha Béhi, Mohamed Zran, Nejib Ben Azouz, Hichem Ben Ammar, Anis Lassoued, Abdellatif Ben Ammar et à de jeunes cinéastes qui pensent qu’il faut mettre l’accent sur les réalités tunisiennes qui avaient tant besoin d’être filmées. Le cinéma tunisien renoue avec le genre à la fin des années 1990, après être approché timidement au cours des premières années du cinéma tunisien.

Nadia El Fani

- LA PERIODE POST "PRINTEMPS TUNISIEN""

À écouter les professionnels, en Tunisie, l’effervescence cinématographique ne serait pas encore synonyme de qualité, malgré l’envie pressante de réagir et de plus grandes facilités de tournage.En revanche, en matière de quantité, la révolution a eu un véritable impact sur le cinéma tunisien. Pas moins de 120 films ont ainsi été présentés dans les différentes sections de la 25e édition des Journées cinématographiques de Carthage, début décembre 2014. "Après le 14 janvier 2011, il y a eu une libération de la parole, et filmer dans la rue sans avoir les flics sur le dos est devenu possible, affirme le critique Khémaïs Khayati.

L’envie de dire était très forte." L’apport des nouvelles technologies numériques et la miniaturisation ont aussi permis de tourner avec peu de moyens, en peu de temps. "Au final, les films peuvent être bons ou ratés, vulgaires ou sérieux, mais ils existent.
Après, il faut faire le tri." C’est là que le bât blesse : "Parmi les jeunes cinéastes, peu feront les affiches de demain, concède Khayati, hormis quelques valeurs sûres comme Kawthar Ben Hnia, Abdallah Yahya, Raja Amari, Nejib Belkadhi ou Jilani Saadi." Des noms qui avaient déjà émergé sous l’ancien régime, selon le cinéaste Ibrahim Letaief : "Ce sont des réalisateurs talentueux, avant d’être des réalisateurs de la révolution."

Kawthar Ben Hnia

Le Printemps tunisien a profité au documentaire et au court-métrage . "S’il est vrai qu’on assiste à une inflation de films dans les deux pays où le Printemps a eu lieu, ce n’est pas forcément en raison du contexte révolutionnaire", poursuit Letaief. Le Printemps tunisien a surtout profité au genre documentaire et au court-métrage. "Les réalisateurs encouragés par le vent des révolutions ont suivi les événements sans toujours prendre du recul, affirme le cinéaste.

La parole libre ne fait pas forcément émerger de belles voix. Rien n’a changé, non plus, du côté de l’industrie. Cent vingt-huit salles à l’indépendance, une dizaine aujourd’hui. Moins de longs-métrages, moins de distributeurs, pas de cinémathèque. Si la décision a été prise de créer le Centre national du cinéma, que nous attendons depuis trente ans, cette structure reste une coquille vide. La Satpec (Société anonyme tunisienne de production et d’exploitation cinématographique) n’existe plus, et la « Cité de la culture » est un chantier à l’arrêt."

L’avis du réalisateur Mahmoud Ben Mahmoud est encore plus tranché. "Plutôt que la révolution, c’est la dictature qui a enfanté des talents, risque le cinéaste tunisien, qui vit en Belgique. La liberté ne rend service à personne en la matière. Elle est peut-être vitale pour un journaliste, elle ne l’est pas pour un cinéaste. L’Iran en est l’exemple. S’il devenait libre et démocratique demain, je ne suis pas sûr que son cinéma s’en porterait mieux."

En réalité, le vrai chantier reste la professionnalisation du secteur. "Les Marocains bénéficient de l’infrastructure, de l’argent et de la volonté politique. Le cinéma tunisien n’a pas l’équivalent d’un Noureddine Saïl, qui a pu faire émerger une petite élite", poursuit Ben Mahmoud, pour qui le cinéma tunisien aurait besoin d’une instance qui édicte des instructions claires, dispose de moyens substantiels et ne se contente pas de se gargariser en vain de "liberté d’expression". "Les Marocains traitent aussi de sujets tabous qui hantent leur société comme la pédophilie ou l’inceste. Si vous ne touchez pas au roi et à la religion (et encore !), vous pouvez vous exprimer librement", dit-il.

"On essaie de rattraper la révolution"

Letaief, qui appartient à la génération intermédiaire des 40-50 ans, se sent piégé par le contexte actuel : "Je me dis qu’il faut absolument parler de la révolution et témoigner pour l’Histoire. En même temps, cette idée m’inhibe. Je n’arrive pas à pondre un film. Je me répète qu’il s’agit du destin de ma Tunisie et de l’avenir de mes enfants, mais je ne peux m’empêcher de m’avouer que je perds mon temps." Lucide, il conclut : "En fait, on essaie de rattraper la révolution avec le risque évident de faire de mauvais films, voire de ne plus en faire du tout."