Le cinéma géorgien est reconnu en Europe pour sa grande créativité. Il a pris son essor au début du xxe siècle par le tournage de documentaires. Le premier long métrage est réalisé en 1918. Il s’est ensuite affirmé comme une composante originale du cinéma soviétique et reconnue dans le monde occidental, avec des réalisateurs primés au Festival de Cannes ou à la Mostra de Venise en particulier (Tenguiz Abouladze, Mikhaïl Kalatozov, Nana Djordjadze, Otar Iosseliani, ...) : plusieurs dizaines de films étaient tournés chaque année dans les studios de Tiflis, avec une légèreté toute méridionale, véhiculant souvent légendes et histoire locale, échappant ainsi à la censure contrairement aux studios de Moscou.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’humour et la dérision permettent progressivement une critique plus ouverte de la société. À partir des années 1990, après la restauration de l’indépendance de la Géorgie, les moyens financiers faisant défaut, toute une génération de cinéastes produit à l’étranger ou s’expatrie comme l’avaient anticipé plus tôt quelques-uns (Otar Iosseliani, Nana Djordjadze) : la guerre civile à Tbilissi ou la sécession de l’Abkhazie — traumatismes pour l’ensemble de la population, mais surtout pour les enfants qu’ils étaient — fournissent à certains d’entre eux des thèmes lourds abordés sous l’angle du prisme personnel (Nana Ekvtimishvili, Téona Grenade, George Ovashvili,...), alors que d’autres s’intéressent aux thèmes de la société contemporaine (Rusudan Chkonia, Tinatin Kajrishvili, George Varsimashvili,...).
HISTORIQUE
Empire russe (1801-1917)
Le cinéma géorgien commença au début du XXème siècle même si un festival de cinéma avait déjà eu lieu à Tblisi, la capitale géorgienne, à la fin du siècle précédent.
Les premiers courts métrages sont tournés en 1908 par Vassil Amachoukéli : il signe en 1912 le premier documentaire géorgien d’une certaine longueur (28 minutes), « Akaki Tsérétéli à Ratcha ».
République démocratique de Géorgie (1918-1921)
Le foisonnement intellectuel redouble sous la jeune république et un studio de cinéma est ouvert à Tiflis en 1918. Aleksandre Tsoutsounava réalise le premier long métrage géorgien, « Christine ».Par la suite, et jusqu’aux années 1930, le cinéma géorgien fut influencé par les personnages les plus importants des arts et de la littérature. En outre, Nato Vachnadze devient à cette époque la première star de cinéma en Géorgie.
Époque soviétique (1921-1991)
Les premiers films géorgiens de l’époque soviétique, réalisé par Aleksandre Tsoutsounava et Koté Mardjanichvili, s’inspirent d’œuvres littéraires et constituent la plupart du temps des mises en images de légendes ou d’épopées nationales. Les films géorgiens sont présentés pour la première fois au Festival international du film de Lyon en 1924. En 1928, 200 longs métrages ont été tournés en Géorgie.
La génération suivante, comme Mikheil Kalatozichvili (qui devient à Moscou Mikhail Kalatozov), Mikheil Tchiaoureli et Nikoloz Chenguélaia, bien qu’ayant reçu la formation académique de l’Institut VGIK de Moscou et ne réunissant pas toujours les préalables bureaucratiques indispensables, réussit à tourner des œuvres qui se différencient des grandes fresques cinématographiques soviétiques.
Les spécialistes du cinéma européen et les historiens géorgiens s’accordent à dire que de la fin des années 1950 aux années 1980, le cinéma géorgien se distinguait par ses réalisateurs et ses acteurs talentueux. Pendant cet âge d’or, on comptait une moyenne de 60 films par an.
La vie culturelle à Tbilissi bénéficie -selon l’humeur politique du moment- d’une certaine tolérance, ainsi Mikhaïl Kalatozov réalise « Le clou dans la chaussure » -qui sera finalement censuré- avant de se plier à l’air du temps (« Quand passent les cigognes » obtient le premier Prix du Festival de Cannes en 1958).
Tenguiz Abouladzé et Révaz Tchkhéidzé y avaient été primés en 1956 avec « l’Âne de Magdana. »
Les critiques affirment que le réalisateur le plus remarquable de Géorgie est Sergei Parajnov, mondialement salué en 1964, après la sortie des « Chevaux de feu », pour le style polémique de sa critique du socialisme. Ses films controversés le rendirent célèbre mais le conduisirent également derrière les barreaux à plusieurs reprises.
Frederico Fellini décrit le cinéma géorgien de cette époque comme "un étrange phénomène, sophistiqué et bouleversant"1. Le grand public européen a commencé à le connaître à la fin de l’époque soviétique, au travers des films de réalisateurs comme Otar Iosseliani et Nana Djordjadze : il a ensuite découvert des jeunes réalisateurs géorgiens -formés à la Faculté de cinéma et de télévision de l’Université d’État de théâtre et de cinéma Chota Roustavéli, héritière de la section film de l’Institut de théâtre-.
République de Géorgie (à partir de 1991)
Faute de moyens financiers, ces réalisateurs se tournent souvent vers des coproductions étrangères, voire vers une expatriation personnelle. Ainsi Otar Iosseliani s’installe en France en 1982, Gela Babluani en 1996 et Nino Kirtadzé en 1997. La création du Centre national cinématographique de Géorgie en 2000 tente d’accompagner cette évolution et donne à certains réalisateurs géorgiens, comme Levan Zakareishvili, Levan Tutberidze ou Archil Kavtaradze, l’opportunité de s’exprimer avec « Tbilissi Tbilissi », « Un voyage au Karabakh » ou « Subordination ». Pourtant après Salomé Alexi sortie de la Fémis à Paris en 1996, Rusudan Chkonia complète sa formation en résidence à la Cinéfondation du Festival de Cannes en 2007, Téona Grenade sort à son tour de la Fémis en 2008, George Varsimashvili reçoit toute sa formation en France (Master de cinéma à l’Université Paris VIII et ESRA), Dea Kulumbegashvili étudie en 2015 à la Cinéfondation du Festival de Cannes .
Après les poésies cinématographiques issoliennes -parfois délirantes et ayant acquis notoriété en Europe occidentale-, la nouvelle génération -marquée par la guerre civile des années 1990 (« Notre enfance à Tbilissi »)
et par le sécessionnisme (La Terre éphémère)-, trace une image de la société civile géorgienne (« Eka et Natia, chronique d’une jeunesse géorgienne »,
« Les Mariées », voire« Keep Smiling »
et « Credit Line ») emprunte d’arbitraire vis-à-vis des individus et dont la clé est l’émigration (« Particulier à particulier » est la transposition de l’aventure de centaines d’étudiants géorgiens cherchant une chambre à Paris
, « Depuis qu’Otar est parti » - bien qu’issu du cinéma français- illustre le malaise des émigrés économiques géorgiens).
Le public géorgien regrette parfois la vision négative ainsi donnée. La plupart de ces films réalisés en coproduction étrangère, souvent franco-géorgienne ou germano-géorgienne, rencontrent un retentissement international souvent supérieur à leur notoriété nationale. L’école de cinéma géorgienne tente de perdurer sans oublier la poésie et la créativité de ses origines, non pas contre l’arbitraire étatique comme à l’époque soviétique mais contre l’arbitraire dans lequel est enfermé l’individu appartenant à une petite nation.