Le cinéma soudanais

  • Mis à jour : 1er octobre 2019

LE CINEMA SOUDANAIS

LES ANNEES D’APRES GUERRE

Jadallah Jubara(Ref. Camille Causse – Librétion 2017)


Le réalisateur Jadallah Jubar

« Il y a des archives un peu partout dans le monde qu’il est urgent de restaurer », un constat qui a poussé Reiner Meyer, un passionné de l’image de film, à inventer un scanner capable de lire et de numériser les pellicules en très mauvais état. « Et c’est ce qui me motive à participer à ce projet » conclut-il. Mais de quel projet parle-t-il ? Découvrons ensemble l’histoire des œuvres cinématographiques de Jadallah Jubara, qui longtemps oubliées, se voient offrir aujourd’hui une seconde jeunesse.

Officier dans l’armée britannique, Jadallah Jubara devint après la Deuxième Guerre mondiale, projectionniste dans un petit cinéma ambulant. Il est aujourd’hui l’un des grands noms du 7e art soudanais avec pas moins d’une centaine de documentaires, des publicités, des films pédagogiques et 4 longs-métrages. C’est dans les années 1970, dans les rue de Karthoum, qu’il ouvre le premier studio de cinéma privé au Soudan, aujourd’hui disparu, le gouvernement l’ayant détruit peu avant la mort du réalisateur en 2008. Réalisateur et caméraman pendant plus de 50 ans, il a documenté l’histoire du Soudan d’avant l’instauration du régime islamique en 1989. Témoins du patrimoine historique et culturel du pays, ses films nous montrent aussi bien des images de la cérémonie d’indépendance du pays en 1956 que des scènes de la vie quotidienne.

Nous sommes en plein âge d’or du cinéma Soudanais. Une soixantaine de cinémas diffusent dans tout le Soudan des productions nationales ainsi que des films d’hollywood et de bollywod. « Il était convaincu que les caméramans étaient les personnes les plus importantes … qu’ils détenaient les armes les plus puissantes », raconte sa fille. Une arme mise à mal depuis le coup d’Etat en 1989. Aujourd’hui seuls 3 cinémas ont résisté aux crises économiques, et la diffusion de films étrangers passe difficilement les mailles des restrictions gouvernementales. Ou devrais-je dire censure ?

Ce qui sauve le trésor de Jadallah Jubara de l’oubli et/ou de la destruction est l’incroyable énergie de sa fille, Sara. Présente aux côtés de son père sur les dernières années de son activité, elle mène depuis son décès un combat pour préserver ce patrimoine qu’elle définit comme « un héritage pour l’avenir des générations soudanaises ». Et c’est en Katharina von Schröder, documentariste, qu’elle fonde ses espoirs. Car stockées dans de mauvaises conditions pendant des années, ces archives ont souffert des conditions climatiques et il faut faire vite.


Documentaire « Soudan, le cinéma oublié » d’ARTE

Et c’est un sacré défi qu’elle doit relever car ce sont plus de 100 heures de films, essentiellement gravées sur des pellicules de 15 et 35 millimètres, qui doivent être sauvegardées. Un projet de sauvegarde et numérisation est en cours, bénéficiant de l’expertise de réalisateurs allemands et financé notamment par l’institut de film et de vidéo d’art à Berlin, l’Arsenal. Car tout cela a un coût, et ce n’est pas peu dire. Les 40 premières heures qui ont été numérisées ont coûté des dizaines de milliers de dollars, et il en reste encore plus de la moitié. Un projet coûteux qui trouve tout son sens lorsque l’on sait qu’il sauve du temps et de l’oubli la plus importante collection d’archives cinématographiques du pays.

Gadalla Gubara

Le cinéma soudanais a connu un essor important dès l’indépendance du pays en 1956, en particulier grâce à la figure historique du réalisateur Gadalla Gubara qui a réalisé plus de cent documentaires et quatre films de fiction au long de ses 50 ans de carrière

Ibrahim Shadad, Suleiman Mohamed Ibrahim, Manar Al Hilo et Altayeb Mahdi.

Ces quatre-là sont les premiers à avoir fait des études de cinéma. Tous à l’étranger sauf un qui était au VGIK de Moscou. C’était dans les années 1960-70 et 80, à Moscou (Suleiman), en Allemagne de l’Est (Ibrahim) et en Égypte (Manar et Altayeb). C’est vraiment la génération qui portait l’espoir d’un vrai cinéma d’auteurs très idéalistes et ils sont toujours très idéalistes, Ils ont fait des films depuis les années 1960, parce qu’ils n’ont pas le même âge. Ibrahim Shadad, le plus actif, a 83 ans en 2019

Ils étaient toujours un peu le cinéma off, parce qu’ils étaient toujours révoltés. Mais cela s’est empiré avec le coup d’État en 1989, avec l’arrivée du régime d’Omar el-Béchir avec le Front national islamique. Tout a été interrompu. Ils ont été virés de leur travail. Dans le ministère de la Culture ils avaient créé une section de cinéma. Ils l’avaient créée eux-mêmes et ils arrivaient à faire des films avec très peu de moyens, mais de vraies œuvres d’art. Je considère que leurs films sont peut-être les seules œuvres artistiques du cinéma au Soudan. L’ensemble de leurs œuvres, si on les met toutes ensemble, cela fait peut-être trois heures.

LA CRISE DU CINEMA AU SOUDAN
(Ref. AFP )

Il y a 30 ans, Khartoum comptait une quinzaine de cinémas, remplis chaque week-end. Aujourd’hui, ils ne sont plus que trois qui vivotent dans des locaux défraîchis, victimes de la crise économique et de la politique du régime soutenu par les islamistes. En 2018, il ne subsiste qu’une salle de cinéma dans la capitale.


Des enfants jouent au football devant l’écran désaffecté du cinéma Halfaya, fermé en 2005

Désaffection

"Dans le passé, les gens appelaient pour réserver des billets et nous projetions des films en anglais le dimanche et en arabe le mardi", confie à l’AFP Ali al-Nour, projectionniste dans l’une des trois salles obscures encore ouvertes.
Ce quinquagénaire aux cheveux gris se languit du temps où les cinéphiles soudanais se pressaient pour rire devant des comédies égyptiennes ou se faire peur avec le dernier thriller hollywoodien. "Le ’Palais de la jeunesse et des enfants’ proposait quatre projections par jour, mais il n’y en a plus que deux et parfois même qu’une. Peu de gens viennent, un maximum de 30 à 40 personnes", ajoute Ali avec regret.

Ce jour-là, seule une poignée de sièges est ainsi occupée. Les clients sont souvent de jeunes couples cherchant un endroit discret pour se retrouver. Devant le bâtiment en béton, des affiches aux couleurs fanées font la promotion de films d’action indiens datant de plusieurs années. "Le cinéma est dans un mauvais état... En fait, il n’existe plus vraiment", soupire le projectionniste.

25 ans de déclin

Les salles obscures de Khartoum, mégalopole de 4,6 millions d’habitants, déclinent depuis l’arrivée au pouvoir du président Omar el-Béchir en 1989 à la faveur d’un coup d’Etat militaire mené avec le soutien des islamistes. "Ils n’ont pas dit clairement que le cinéma était interdit par la religion ou la loi, mais ils ont pris des mesures" qui ont nui à cette industrie, explique à l’AFP Souleimane Ibrahim, un responsable du Sudan Film Group, une association créée quelques mois avant le coup d’État pour promouvoir le cinéma. Le régime a notamment fermé l’Institut national du cinéma, un organisme gouvernemental chargé de favoriser le développement du septième art.


L’entrée du cinéma Halfaya, aujourd’hui fermé (22 décembre 2014))

Couvre-feu fatal pour les cinémas en plein air

Pour empêcher des manifestations, il a par ailleurs imposé un couvre-feu dans la capitale de 1989 à 1995, avec des dégâts irrémédiables sur les cinémas en plein air, ces auditoriums dotés de larges écrans et de centaines de sièges. "Comme toutes les projections étaient programmées le soir, elles ont cessé", souligne Souleimane Ibrahim.

Pourtant un groupe de réalisateurs perpétue malgré tout cette tradition. Ibrahim Shadad [Hunting Party (1964), The Rope (1984)] et Suleiman Mohamed Ibrahim font des projections itinérantes et se débrouillent toujours à échapper un peu à la censure ou à demander des autorisations. Donc ils s’organisent avec les villageois et font des projections. Ils montrent de tout mais aussi aussi des films éducatifs de temps en temps, avec toujours un film intéressant pour ne pas ennuyer les gens. Suhaib Gasmelbari, invité à la Berlinade 2019 raconte : « La première fois où je suis allé avec eux, c’est là où l’idée de faire le film est née. Nous sommes arrivés très tard, parce que la voiture est tombée en panne. Ils installent leur écran en tissu et, subitement, pendant le film, il y a eu une tempête de sable. En fait, personne n’a bougé. Ils se sont attachés derrière l’écran et le spectacle a continué comme ça, avec le sable devant les yeux… Le vent gonflait le petit écran de tissu et pour moi c’était déjà une image typique de la réalité. »

La crise économique n’a rien arrangé

La désertion des salles obscures a été accentuée par l’anémie de l’économie, surtout après l’embargo commercial imposé depuis 1997 par les États-Unis qui accusent le régime de violations des droits de l’Homme et de liens avec le terrorisme.
Le PIB moyen par habitant s’élève, selon la Banque mondiale, à 4 dollars par jour, ce qui rend le ticket de cinéma, à 6 livres soudanaises (un dollar), inabordable pour une grande partie de la population.
Malgré l’isolement du pays, les cinémas se battent pour obtenir des films étrangers, mais ils doivent souvent se contenter de productions indiennes, meilleur marché. Alors que plus de 60% de la population soudanaise a moins de 24 ans, de nombreux jeunes n’ont pas la moindre idée de l’engouement que leur pays a connu autrefois pour le cinéma.

L’ESPOIR

Directeur du Sudan Film Factory, qui forme et fournit du matériel aux réalisateurs soudanais en devenir, Talal al-Afifi espère redonner vie, un jour, à cette passion. Marqué par le cinéma en plein air de son enfance, qui diffusait "voix, chansons et lumière dans tout le quartier", il a lancé le Festival indépendant du film du Soudan, qui tiendra bientôt sa troisième édition. En faisant le pari que des films soudanais se retrouveront de nouveau à l’affiche des écrans de Khartoum.

Sans soutien institutionnel, les cinéastes soudanais tentent de créer des oeuvres indépendantes. Plusieurs d’entre eux tentent de raviver l’intérêt du public, en organisant des projections publiques, des ateliers de formation et des débats sur les films classiques. Palliant l’absence de formation dans le pays, de jeunes cinéastes se forment à l’étranger et poursuivent leur carrière hors du pays afin de pouvoir financer leurs films.

Hajooj Kuka, réalisateur soudanais

Le jeune cinéaste Hajooj Kuka présenta, son film « Akasha » dans le cadre de la compétition officielle du 17ème Festival international du film de Marrakech. Ce fut le premier long métrage réalisé depuis 20 ans. Auparavant il a tourné des films documentaires aux Noubas du Soudan où il est né et où il vit.actuellement. Pour « Akasha », il a travaillé avec des gens qui vivent dans sa région et qui adorent l’art bien qu’ils n’étaient pas des acteurs. Auparavant il était à Abu Dhabi aux Emirats. Il a fait son éducation à Beiruth après quoi il est parti aux Etats-Unis pour étudier à l’université. C’est là qu’il s’est formé au cinéma à New York où il travaillait dans les annonces. En 2011, il y a eu la nouvelle guerre tribale au Soudan. En 2012, il est parti pour essayer de documenter la situation au Soudan. Quand il a vu sa famille dans des situations difficiles, il a décidé de rester. Je vis dans cette contrée depuis 2012 à ce jour.

Le film est une comédie. Bien que ce soit un long-métrage, les faits se déroulent en une seule journée. Le film parle du mode de vie dans les zones de conflit. Ce qui y arrive au Soudan est bizarre. En automne, la pluie est abondante dans ces régions. La terre devient argileuse. Ainsi, les charrettes et les voitures n’arrivent pas à bouger. La guerre s’arrête complètement. C’est comme une opportunité pour les soldats pour partir. Le film raconte l’histoire de trois personnages principaux. Adnan, Lina et Absi. Adnan est un jeune qui aime la guerre. Il adore être aimé et perçu comme héros. Il a une bien-aimée qui s’appelle Lina. Le film commence par une dispute entre Adnan et Lina qui finit par l’expulser de chez elle. Mais il ne prend pas son arme avec lui. Tout au long du film, il essaie de la récupérer. Ainsi, la comédie se crée en tentant de récupérer cette arme. Mais en même temps, dans cette comédie, le spectateur ressent l’existence d’une vie dans les zones de guerre et conflit. Aussi, il y a un mariage célébré dans le même jour. Histoire de permettre au spectateur de ressentir l’existence de la musique, du patrimoine et du mode de vie dans ces zones marginalisées.

Institut du Monde Arabe

En 2017, dans le cadre des manifestations "Un autre Soudan", l’Institut du Monde Arabe a consacrée une soirée aux jeunes auteurs du cinéma soudanais :

-  « Iman, la foi à la croisée des chemins » de Mia Bittar - Soudan, fiction, 2017, 40’ - Scénario : Mia Bittar - Cinématographe : Khalid Awad - Son : Philip Bennett - Montage : Ahmed Abdel Mohsen, Mia Bittar - Conception musicale et sonore : Philip Bennett - Chanson : Ibrahem Ahmed et Islam Abdelmonem - Interprètes : Asaad Ali, Adil Kebida, Sahar Ibrahem, Hassan Khamis, Natalia Yagoub, Ibrahem Ahmed, Marwan Omer, Islam Abdelmonem, Razan Elkhatib - Production : Ahmed Abdel Mohsen
Synopsis :
Quatre hommes et femmes, de milieu et d’origine totalement différents, se trouvent confrontés à la radicalisation. Basé sur des faits réels, le film dépeint les défis quotidiens d’un extrémisme violent au Soudan, à travers ces quatre personnages.

Biographie
Mia Bittar est une réalisatrice et productrice libano-soudanaise basée au Soudan. Après avoir travaillé à New York et à Londres, elle rentre au Soudan il y a huit ans pour y réaliser des documentaires. Elle réalise son premier film pour la chaîne Al Jazeera, « Witness », qui suit un groupe de jeunes acteurs autodidactes du Darfour. En 2012, elle crée sa société de production réalise des publicités et des courts métrages documentaires. Elle contribue également à la formation de jeunes réalisateurs. Iman est son premier court métrage de fiction.

Mia Bittar

- « Shemaish » de Elaf Alkanzy
Soudan, fiction, 2014, 8’ - Scénario : Visual Spaces Group - Image : Abden Abd Alrahman - Montage : Elaf Alkanzy - Costumes : Nahed Ismaïl - Interprètes : Dyab, Fardous alkanzy, Dalya Refat, Adel - Production : Khatem Adlan Center for Enlightenment and Human Development, Neutral Spaces Project, Visual Spaces Workshop
Synopsis =
Un petit cireur de chaussures voit un jour une gamine échapper à ses parents et la leur ramène.

Biographie
Elaf Alkanzy est à la fois photographe et monteuse de films, elle est également l’organisatrice des formations des ateliers de l’Usine de films du Soudan (Soudan Film Factory). Membre de l’équipe du Festival du Film Indépendant du Soudan, elle a été choisie pour participer au Programme Cinéma sans frontières du Festival International du film sur les droits de l’homme en Jordanie, ainsi qu’au Festival Movies that Matter à La-Haye aux Pays-Bas. Le Programme Cinéma sans frontières est un atelier de formation à l’organisation des festivals de cinéma liés aux droits de l’homme qui réunit un groupe de spécialistes et de militants dans le domaine du cinéma et de droits de l’homme du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

Elaf Alkanzy

- « Studio » de Amjad Abu Al Ala
Soudan, fiction, 2012, 7’30 - Scénario : Mohammed A. Alkammady -Image : Bader Alhamoud - Montage : Turki Al-Rwaita - Musique : Mohammad S. Daffallah, chantée : Nancy Ajaj -Interprètes : Rashied Ahmed Issa, Ahmed Adam - Production : Amer Alrawas
Synopsis
Un vieil homme se présente dans un studio de photographies pour se faire prendre en photo. Mais le photographe est surpris par sa demande…

Biographie
Né aux Émirats Arabes Unis, Amjad Abu Al Ala grandit à Dubaï où il fait des études de Communication. Il produit et réalise plusieurs courts métrages, dont « Café et Orange » (2004), « Les Plumes des oiseaux » (2005), considéré comme le retour du cinéma soudanais après une interruption de dix ans, « Sur le trottoir de l’âme » et « Tina » (2009). Studio a été supervisé par Abbas Kiarostami. En 2012, il remporte le Prix de la meilleure pièce de théâtre pour « Tartes aux pommes. »Il dirige également le Comité de programmation du Festival du film indépendant du Soudan.
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Amjad Abu Al Ala

2019 Consécration ) la BERLINADE

En 2019, « La Berlinade » accueille le réalisateur soudanais Suhaib Gasmelbari
« Talking About Trees » de Suhaib Gasmelbari, réalisateur soudanais né en 1979, a été sélectionné pour le Festival international du film de Berlin. Ce film parle de quatre amis unis dans un club du film soudanais. Ils ont décidé de rénover une vieille salle de cinéma à Khartoum. Ces retraités veulent transmettre leur passion du 7e art à une population qui n’a pas pu voir de films en salles, et n’a pas accès au cinéma indépendant. Ce documentaire projeté dans la section Panorama montre leur quête d’une salle et leur passion, intacte malgré les années d’exil et les tracasseries incessantes au Soudan.

LE SUD SOUDAN

Après une guerre dévastatrice entre le Mord et le Sud, le Sud obtient son indépendance . Ceci vaut au cinéma de faire une première apparition avec le film "Salt of the nation" premier film réalisé au sud-Soudan, avec des acteurs locaux et qui raconte l’histoire du pays, de la guerre civile jusqu’à aujourd’hui. A quelques semaines d’un référendum décisif pour l’avenir du pays, cette fiction vante la nécessité pour les tribus sud-soudanaises de s’unir autour d’une même nation.