Le cinéma albanais

  • Mis à jour : 12 mai 2017

Longtemps confiné dans son isolement géo-politique, le cinéma albanais a fait de brèves apparitions dans quelques salles et festivals spécialisés, mais n’a véritablement retenu l’attention des médias occidentaux qu’au début des années 2000, à l’occasion de la sortie de deux films phares, "Slogans" de Gjergj Xhuvani et "Tirana, année zéro" de Fatmir Koçi.

1. Histoire du cinéma albanais

Le temps des pionniers

Les véritables débuts du cinéma en Albanie dateraient de 1897. A ce moment-là, le pays vit encore sous le joug de l’Empire ottoman, une culture coloniale très réticente à la représentation de l’homme. C’est dire que les débuts de la photographie et du cinéma vont se faire dans des conditions difficiles.

Deux frères photographes originaires de Macédoine, les frères Manákis arpentent infatigablement les Balkans et s’installent à Bitola (Manastir) en 1905. Ils filment la vie quotidienne dans la région, et notamment le Congrès de Manastir, un important épisode de l’histoire de l’Albanie qui établit la standardisation de l’alphabet albanais en 1908 et qui se tient justement dans leur ville.

De son côté, Kolë Idromeno,, peintre, architecte et urbaniste, avait installé dans sa ville natale Shkodër dès 1883 un laboratoire de photographie, Driteshkronja Idromeno et entretenait une correspondance avec les frères Lumière. Il est le premier à organiser des projections publiques dans le centre culturel Gjuha Shqipe . En 1912 il signe aussi un contrat avec le représentant d’une société autrichienne, Josef Stauber, qui permettra aux Albanais de s’ouvrir aux cinémas étrangers.

L’embellie de l’indépendance

Pendant les 30 ans qui suivent la déclaration d’indépendance, aussi bien les sociétés de production européennes et américaines que les amateurs tournent principalement des actualités et des films documentaires. Entre les deux guerres c’est donc l’influence étrangère qui domine, en particulier les cinéma américain, français et italien.
Ils remarquent aussi la présence d’acteurs albanais auprès des stars dans ces films étrangers, par exemple le célèbre Alexander Moissi venu du théâtre, ou encore Kristaq Antoniu, Elena Qirici.

Les salles de cinéma se multiplient dans les années 1920 et un véritable réseau de distribution se met en place. Pourtant en 1926 les représentants de la première société cinématographique albanaise, Alqi Hobdari et Xhuf Koljan ne cachent pas que s’ils prennent de tels risques financiers, c’est uniquement par patriotisme, car ces capitaux leur rapporteraient certainement plus d’argent s’ils étaient investis dans le commerce ou l’industrie.

En 1928 l’Albanie redevient une monarchie, avec l’auto-proclamation de Zog Ier. L’une des conséquences en est que l’attention des caméras étrangères se tourne désormais volontiers vers les parades, les exercices militaires et les tenues d’apparat. Comme il n’y a pas de maisons d’édition, ce sont souvent des peintres qui reproduisent les affiches, par exemple Stavri Madhi et bien d’autres.

L’emprise de l’Etat

Le 7 avril 1939 une partie de l’Albanie est occupée par l’Italie, et la distribution des films est gérée à Rome. En 1942, à l’initiative directe du comte Ciano et de Mussolini une société de production est créée, Tomorri Films, qui existe toujours. Pour la première fois un documentaire est tourné par un réalisateur albanais, mais la mainmise de l’Etat se fait de plus en plus pesante. De septembre 1943 à novembre 1944 les salles sont entièrement contrôlées par les nazis.

Le 22 décembre 1945 une loi décrète la nationalisation de l’acquisition, de l’importation et de la distribution des films en Albanie. Deux jours plus tard l’ Agence albanaise du cinéma est créée. Elle sera transformée en Société cinématographique nationale d’Albanie en 1947. Par ailleurs tous les cinémas privés sont nationalisés.

Le royaume albanais devient la République populaire d’Albanie le 11 janvier 1946, et c’est Enver Hoxha qui va diriger le pays pratiquement jusqu’à sa mort en 1985.

Au cinéma une nouvelle étape est franchie avec la création des premiers studios albanais, Shqipëria e Re ("Albanie Nouvelle") en 1952. Dans les années 1940 et 1950, le gouvernement s’attache à accroître le nombre de salles et de projecteurs mobiles, ainsi que l’importation de films, principalement des pays de l’Est, de France et d’Italie.

Les débuts d’une production nationale

Le premier long métrage est en réalité une coproduction albano-russe consacrée au héros national albanais, Skanderbeg. Cette fresque historique, "L’Indomptable Skanderbeg" (Skënderbeu), réalisée en 1953 par Sergueï Ioutkevitch fut primée au Festival de Cannes 1954 (Prix International et mention spéciale pour la réalisation).

Les premiers films entièrement réalisés par des Albanais sont "Fëmijët e saj", un court métrage mélodramatique réalisé dans le cadre de sa formation par Hysen Hakani en 1957 et "Tana" de Kristaq Dhamo en 1958, d’après le roman de Fatmir Gjata, et qui peut être considéré comme le premier long métrage albanais.

Les années 1960 sont marquées par la production régulière d’un film par an en moyenne, avec une prédilection pour des thèmes liés à la résistance contre les occupants nazis et fascistes, ainsi qu’aux réformes mises en place immédiatement après la guerre. De jeunes réalisateurs, tels que Dhimitër Anagnosti, Viktor Gjika, Gëzim Erebara et Piro Milkani, font leur premier film à ce moment-là.

Au cours de la décennie suivante, le gouvernement mène dans le domaine de la culture une politique isolationniste qui conduit notamment à une réduction drastique des importations. La production de films nationaux s’accroît alors de manière significative, pour atteindre 5 à 6 longs métrages par an au début des années 1970, puis 8 à 10 et enfin 14 dans les années 1980.

Les genres se diversifient, et l’on voit apparaître notamment les premiers films pour enfants, un domaine dans lequel l’Albanie se distinguera à plusieurs reprises, notamment à travers la réalisatrice Xhanfize Keko, épouse du cinéaste Endri Keko. Après une dizaine d’autres films, son "Beni ecën vetë" est particulièrement remarqué en 1975 à l’occasion du Festival du film pour enfants de Giffoni (Italie). C’est l’histoire de Ben, un petit garçon surprotégé qui, grâce à un oncle qui l’emmène à la campagne, va s’affranchir petit à petit.

Quelques réalisateurs s’essayent aussi à la comédie de situations, tels que Fehmi Oshafi et Muharrem Fejzo. Dans "Kapedani "(1972), l’oncle Sulo, un peu misogyne, est contrarié parce que la coopérative du village est dirigée par une femme. Parti à Tirana pour défendre ses droits, il va de surprise en surprise.

Même si des films historiques et musicaux (par exemple "Cuca e maleve" de Dhimitër Anagnosti en 1974) sont également produits, le genre préféré des Albanais reste le film dramatique, voire mélodramatique.

Pendant cette décennie une nouvelle génération de réalisateurs se fait connaître, tels que Rikard Ljarja, Saimir Kumbaro, Ibrahim Muço, Kristaq Mitro ou encore Esat Musliu. La Radio-Télévision albanaise se met aussi à produire des films, par exemple "Udha e shkronjave" et "Kur hidleshin themelet" , réalisés par Vladimir Prifti en 1978.

Les années 1980

A la fin de cette période, particulièrement dans les années 1980, les films albanais se tournent davantage vers des événements immédiatement contemporains, ou alors antérieurs à la Seconde Guerre mondiale. De nouveaux noms de réalisateurs émergent, à travers des films tels que "Face à face" (1979) , de Kujtim ashku et Piro Milkani ; "La Main de l’homme" (1983, Kujtim ’ashku) ; "Agimet e stinës së madhe" (1981,
Albert Minga),

"Kohë e largët" (1983, Spartak Pecani) ; "Tela për violinë" (1987, Bujar Kapexhiu) et bien d’autres.