LE CINEMA DU GABON
Extraits de textes écrits par Imunga Ivanga dans retrostecive du Cinéma Gabonais.
Début du cinéma gabonais
Dans les années soixante, les films étaient projetés à partir d’un camion-cinéma qui sillonnait les quartiers populaires de Libreville. En fait un cinéma mobile destiné au plus grand public. Un projecteur installé à l’arrière du véhicule, un drap blanc ondulant sous l’effet du vent, et la séance pouvait commencer. La magie du cinéma s’imposait ainsi brutalement dans la chaleur des grandes nuits équatoriales. Une atmosphère piquante et très colorée où les spectateurs accompagnaient les héros des films dans leurs péripéties en les interpellant ou en essayant de les prévenir des dangers qui les guettaient.
Le Gabon à ce moment-là est, avec le Sénégal, le Niger, la Côte d’Ivoire, l’un des rares pays francophones africains à prendre un départ cinématographique foudroyant. D’abord avec "La cage", une co-production franco-gabonaise d’après un scénario de Philippe Mory réalisé en 1962 par Robert Darene, Mory qui commence très tôt une carrière d’acteur en tenant le rôle principal dans "On n’enterre pas le dimanche" de Michel Drach, prix Louis Delluc en 1960.
Le 4 mars 1966, cinq ans après le premier vol spatial effectué par le soviétique Youri Gagarine une équipe de réalisation Gabon-France de la R.T.G. (Radio Télévision Gabonaise), avec l’aide des membres de l’assistance technique de l’O.CO.RA (Office de coopération radiophonique dirigé à l’époque par Jean-Luc Magneron), présente "Chouchou cosmonaute" : le premier cosmonaute gabonais qui s’embarque à bord de la fusée Ogooué pour la lune. Tous les spectateurs de l’époque et même les écoliers qui furent transportés à l’aéroport, transformé pour le film en centre spatial, crurent l’événement réel. Ce film qui est certainement l’un des premiers dans le genre de la science-fiction en Afrique ira la même année au grand concours international des films d’actualités de Cannes.
La Grande Ellipse !
Entre 1969 et 1978 la création ne s’interrompt pas.
La production cinématographique est alors tous azimuts, on a droit à des courts-métrages : "Carrefour humain" (1969), "Lésigny" (1970), "Sur le sentier du requiem" (1971) de Pierre-Marie Dong, "Bonne nuit, Balthazar" (1970) de Louis Mebalé, "Les rois mages" (1972), "La grasse matinée" (1973) de Charles Mensah, "Maroga" une première (1974) de Georges Gauthier Révignet, "Un Noël pas comme les autres" (1978) d’Alain Dickson.
Des longs-métrages : "Les tam-tams" se sont tus" (1971) de Philippe Mory ; "Identité" (1972), "Obali" (1976) et "Ayouma" (1977) de Pierre-Marie Dong et Charles Mensah ; "Demain un jour nouveau" (1978) de Pierre-Marie Dong ; "Ilombé" (1978) de Charles Mensah et Christian Gavary ; "Où vas-tu Koumba" (1971) d’Alain Ferrari et Simon Augé un feuilleton à succès de 13 épisodes de 15 mn de qualité cinéma et autant de documentaires qui furent réalisés de façon ininterrompue, certes pendant une durée brève mais malgré tout très intense.
De 1978 à 1994 c’est la grande éllipse.
Un vrai fondu au noir avec une petite ouverture en 1983 avec "Equateur" de Serge Gainsbourg adapté du roman "Le coup de Lune" de Georges Siménon. Puis, en 1986 on croit à un sursaut avec les réalisations successives de "Raphia" de Paul Mouketa ( Dread Pol ) et "Le singe fou" d’Henri-Joseph Koumba Bididi qui sont toutes les deux récompensées respectivement à Carthage et à Ouagadougou. De sursaut il n’en sera finalement rien.
Il faut attendre 1995 pour voir poindre à nouveau la lumière des projecteurs. En effet à Ouagadougou, pour la première fois depuis 1986 le Gabon sera présent de façon directe avec deux oeuvres destinées à la télévision "L’Auberge du salut" (1997-1998), une production qui associe plusieurs réalisateurs nationaux tels Charles Mensah, Henri Joseph Koumba BIdidi, Pol Mouketa, Alain Oyoué, François Onana, Marcel Sandja et Mista de Didier Ping.
La création des synergies
Charles Mensah, directeur général du CENACI de 1987 à 2009 impulse dès le début des années 90 des coproductions afin de relancer la production gabonaise. L’expérience débute avec "Le grand blanc de Lambaréné" (1995) de Bassek Ba Kobhio, et le "Damier" (1996) de Balufu Bakupu Kanyinda.
L’action de coproduire qui est indispensable au développement des cinématographies s’appuie sur une réflexion objective. Aucun pays d’Afrique noire en dehors de la République Sud-africaine ne dispose à lui tout seul de suffisamment de moyens financiers et techniques ni de ressources humaines. Par ailleurs, une meilleure intégration au niveau sous-régional voire régional devrait dans notre domaine jouer un rôle de soutien. Une nécessité économique liée aux coûts très élevés des films dus au paiement des moyens et des prestations techniques, sur la base des tarifs en vigueur dans les pays européens avec lesquels nous travaillons.
Cette situation trouve des solutions aujourd’hui avec des pays comme le Maroc, la Tunisie, l’Egypte ou l’Afrique du Sud, des possibilités qui pourraient permettre de baisser les coûts. Pour autant, la coproduction aura permis de faire " Le Silence de la forêt" (2003) de Didier Ouénangaré et Bassek ba Kobhio, "Tartina City" (2006) d’Issa Serge Coelo, "L’héritage perdu" (2010) de Christian Lara et Batépa (2011) d’Orlando Fortunato.
A côté de ces cinéastes, deux auteurs gabonais se démarquent. Imunga Ivanga qui compte une douzaine de films parmi lesquels "Dôlè" ( l’argent ) (2000) et "L’ombre de Liberty" (2006) et Henri Joseph Koumba Bididi avec "Les couilles de l’éléphant" (2000) et "Le collier du Makoko" (2011).
Le documentaire n’est pas en reste avec Alain Didier Oyoué Jean Michonnet une aventure humaine, (1998), "La forêt en sursis" (2002), "Promesse d’un nouvel eldorado" (2002), Roland Duboze Pierre de Mbigou, (1998), Antoine Abessolo Minko "Au commencement était le verbe" (2003) et "Itchinda ou la circoncision chez les Mahongwé" (2009). Certains de ces films auront un retentissement au plan international.
Dans le sillage de ces auteurs, s’activent de nouveaux talents qui réaliseront des courts-métrages de fiction et documentaires, parmi eux Karine Yèno Anotho avec "Gloria" (2001), Nadine Otsobogo Boucher avec "Songe au rêve" (2006) et Il était une fois à "Naneth" (2008) ; Manouchka Kelly Labouba avec "Michel Ndaot : entre ombres et lumières", (2008) et "Le Divorce" (2009) ; Fernand Lepoko avec "Maléfice" (2008) et Vyckoss Ekondo, une expression culturelle nommée "Tandima" (2008) ; Pol Minko "De fils en aiguilles, le parcours d’un artiste", (2008) ; Roger Mavoungou Edima Lybek, "le croqueur du vif", (2008) ; Olivier Rénovat Dissouva "La Clé" (2011 ).
Retour vers le futur
La consolidation de ces acquis passe nécessairement par une meilleure adéquation avec l’environnement économique. La réduction des financements institutionnels, l’incapacité des télévisions africaines à s’impliquer en tant que partenaires nous impose à appréhender autrement l’économie du cinéma. Il reste que la quasi inexistence d’un réseau de salles sur l’ensemble du territoire et la vente libre des films contrefaits peut être un frein à tous ces efforts.
Dans cette optique il est mis davantage l’accent sur l’utilisation des nouvelles technologies, notamment sur le numérique, à la fois dans les modes de production et de diffusion afin d’augmenter la capacité à produire la propre culture gabonaise, combler le déficit des modèles de référence pour les jeunes générations, sans faire l’impasse sur l’artistique.
Cela s’accompagne également d’une démocratisation de l’exercice du 7ème art et de la vidéo au Gabon. Déjà au début des années 90 des auteurs nés du clip vidéo, notamment André Ottong "La Cithare", "Sy", "La Chambre des filles" et Patrick Bouémé Shanice ont eu à réaliser des films et des séries télévisées. On peut considérer aujourd’hui, qu’il existe une sorte de cinéma « underground », avec parfois quelques réussites populaires. Un phénomène qui va grandissant et qu’il faut prendre en compte, compte tenu de la ferveur populaire qu’il suscite. Des auteurs tels Maggic Youngou "Cap Estérias" (2010), Dominique Donatien Mboumba "Fantomas" (2011), Van Mabadi "Amour ou sentiment" (2011) et Melchy Obiang Kongossa, "L’amour du diable" (2011) l’ont encore prouvé récemment. Mais si l’on peut leur accorder du mérite, il leur reste encore à apporter davantage de rigueur professionnelle à leurs propositions.
D’autres jeunes talents s’affirment avec des films de facture internationale tant dans le documentaire que la fiction, ils appartiennent à la cinquième génération issue des classiques. Il s’agit d’Alice Atérianus Owanga "Les nouvelles écritures de soi" (2010), Murphy Ongagna "Home studio" (2010), Pauline Mvélé "Accroche-toi" (2008), "Non coupables" (2011), Joël Moundounga "L’épopée de la musique gabonaise" (2011), Nathalie Y. Pontalier "Le maréchalat du roi dieu" (2011), Filip Vijoglavin "Une trompette au bord de mer" (2010), Marc Tchicot et Frank Onouviet "The Rhytm of my life (Au rythme de ma vie)" (2011) sélectionné au Short corner film du festival de Cannes 2011.