Le cinéma gabonais

  • Mis à jour : 6 novembre 2014

LE CINEMA DU GABON

Extraits de textes écrits par Imunga Ivanga dans retrostecive du Cinéma Gabonais.

Début du cinéma gabonais

Dans les années soixante, les films étaient projetés à partir d’un camion-cinéma qui sillonnait les quartiers populaires de Libreville. En fait un cinéma mobile destiné au plus grand public. Un projecteur installé à l’arrière du véhicule, un drap blanc ondulant sous l’effet du vent, et la séance pouvait commencer. La magie du cinéma s’imposait ainsi brutalement dans la chaleur des grandes nuits équatoriales. Une atmosphère piquante et très colorée où les spectateurs accompagnaient les héros des films dans leurs péripéties en les interpellant ou en essayant de les prévenir des dangers qui les guettaient.

Le Gabon à ce moment-là est, avec le Sénégal, le Niger, la Côte d’Ivoire, l’un des rares pays francophones africains à prendre un départ cinématographique foudroyant. D’abord avec "La cage", une co-production franco-gabonaise d’après un scénario de Philippe Mory réalisé en 1962 par Robert Darene, Mory qui commence très tôt une carrière d’acteur en tenant le rôle principal dans "On n’enterre pas le dimanche" de Michel Drach, prix Louis Delluc en 1960.

La Cage _ Philippe, un jeune médecin africain diplômé de la faculté de Paris, revient au Gabon pour se marier avec Oyane et y travailler. Il part dans la jungle afin d’éradiquer une épidémie de variole et se heurte à la population qui n’écoute que Michel, un vieux forestier vivant seul en brousse et connaissant mieux la médecine du pays que lui. Philippe est complexé face à ce blanc devenu plus noir que lui. Aussi, il va rencontrer Isabelle, qui exerce immédiatement une véritable fascination sur lui : Film interprété par Philippe Mory, Jean Servais, Marina Vlady, Myriel Oyane

Le 4 mars 1966, cinq ans après le premier vol spatial effectué par le soviétique Youri Gagarine une équipe de réalisation Gabon-France de la R.T.G. (Radio Télévision Gabonaise), avec l’aide des membres de l’assistance technique de l’O.CO.RA (Office de coopération radiophonique dirigé à l’époque par Jean-Luc Magneron), présente "Chouchou cosmonaute" : le premier cosmonaute gabonais qui s’embarque à bord de la fusée Ogooué pour la lune. Tous les spectateurs de l’époque et même les écoliers qui furent transportés à l’aéroport, transformé pour le film en centre spatial, crurent l’événement réel. Ce film qui est certainement l’un des premiers dans le genre de la science-fiction en Afrique ira la même année au grand concours international des films d’actualités de Cannes.

La Grande Ellipse !

Entre 1969 et 1978 la création ne s’interrompt pas.

La production cinématographique est alors tous azimuts, on a droit à des courts-métrages  : "Carrefour humain" (1969), "Lésigny" (1970), "Sur le sentier du requiem" (1971) de Pierre-Marie Dong, "Bonne nuit, Balthazar" (1970) de Louis Mebalé, "Les rois mages" (1972), "La grasse matinée" (1973) de Charles Mensah, "Maroga" une première (1974) de Georges Gauthier Révignet, "Un Noël pas comme les autres" (1978) d’Alain Dickson.

Des longs-métrages : "Les tam-tams" se sont tus" (1971) de Philippe Mory ; "Identité" (1972), "Obali" (1976) et "Ayouma" (1977) de Pierre-Marie Dong et Charles Mensah ; "Demain un jour nouveau" (1978) de Pierre-Marie Dong ; "Ilombé" (1978) de Charles Mensah et Christian Gavary ; "Où vas-tu Koumba" (1971) d’Alain Ferrari et Simon Augé un feuilleton à succès de 13 épisodes de 15 mn de qualité cinéma et autant de documentaires qui furent réalisés de façon ininterrompue, certes pendant une durée brève mais malgré tout très intense.

"Les tams-tams se sont tus" _ Abraham est un jeune sculpteur qui ne comprend pas très bien l’évolution du monde dans lequel il vit. Au cours d’une visite au village, il tombe amoureux de la plus jeune des épouses de son oncle, la séduit, et comme leur amour est découvert, l’emmène furtivement à la capitale, Libreville. Là, la naïve villageoise est prise en charge par Josy, la soeur du jeune homme et découvre la ville, ses plaisirs et ses séductions. Quand son mari dépêche sa première femme pour lui demander de rentrer au village, elle refuse et ne tarde pas à se laisser entraîner dans le tourbillon de cette vie si différente de ce qu’elle a connu et qui semble si facile. La dérive de la jeune villageoise déplaît fortement au sculpteur qui lui reproche de s’occidentaliser. Il sermonne sérieusement sa conquête au nom du respect des valeurs de l’Afrique traditionnelle et authentique.

De 1978 à 1994 c’est la grande éllipse.

Un vrai fondu au noir avec une petite ouverture en 1983 avec "Equateur" de Serge Gainsbourg adapté du roman "Le coup de Lune" de Georges Siménon. Puis, en 1986 on croit à un sursaut avec les réalisations successives de "Raphia" de Paul Mouketa ( Dread Pol ) et "Le singe fou" d’Henri-Joseph Koumba Bididi qui sont toutes les deux récompensées respectivement à Carthage et à Ouagadougou. De sursaut il n’en sera finalement rien.

Equateur _ La côte gabonaise au début des années cinquante. Un jeune français, Timar, débarque d’un cargo avec une lettre de recommandation de son oncle. Le poste convoité, hélas, n’est plus libre. Il échoue dans un petit hôtel sordide tenu par des Européens, Eugène, un vieillard malade et sa jeune femme Adèle. Elle s’offre à lui puis, simule l’indifférence. Le temps s’écoule. Chaleur, oisiveté, solitude, Timar se met à boire. Le boy d’Adèle, après une dispute avec sa patronne, est tué par balles. Timar écoeuré veut partir en brousse mais cède à Adèle qui lui propose l’exploitation d’une plantation d’okoumé. Les amants s’embarquent pour la concession. Escale dans un petit village. Adèle disparaît, puis revient. Timar, terrassé par la fièvre, sombre dans l’alcoolisme.

Il faut attendre 1995 pour voir poindre à nouveau la lumière des projecteurs. En effet à Ouagadougou, pour la première fois depuis 1986 le Gabon sera présent de façon directe avec deux oeuvres destinées à la télévision "L’Auberge du salut" (1997-1998), une production qui associe plusieurs réalisateurs nationaux tels Charles Mensah, Henri Joseph Koumba BIdidi, Pol Mouketa, Alain Oyoué, François Onana, Marcel Sandja et Mista de Didier Ping.

Auberge du salut _ Angélique vit avec son frère Fiston et sa mère, Mme Veuve dans une cité de Libreville. à la mort de son mari, Mme veuve bascule dans la religion et rejoint la communauté de fanatiques Frères et Soeurs du Christ de Frère Arthur. Sa maison sur laquelle le frère défunt Oncle Didine veut s’installer pour mettre de l’ordre devient un sanctuaire où se retrouvent tous les jours ses "frères et soeurs en dieu" pour des réunions et des prières. Angélique, qui a accepté la religion pour ne pas contrarier sa mère, commence à étouffer. Elle voit les autres filles s’amuser et ne peut s’empêcher de les envier et de chercher une occasion de quitter le domicile familial. Un jour, une maison se libère et le fils du propriétaire, Regal, un musicien, décide de récupérer ce logement pour en faire une auberge. Ce garçon, bon vivant, courtise Angélique. Tout en appréciant son amitié, Angélique le tient à distance en raison de ses convictions religieuses, mais accepte de travailler avec lui à l’auberge, quittant ainsi le giron familial. Pour sa mère, l’artiste musicien est l’incarnation de Satan. Elle va tout faire pour récupérer sa fille. Malgré leurs parents qui s’opposent à ce mariage, les deux jeunes gens bien qu’ils ne soient pas de la même ethnie, décident de se marier.

La création des synergies
Charles Mensah, directeur général du CENACI de 1987 à 2009 impulse dès le début des années 90 des coproductions afin de relancer la production gabonaise. L’expérience débute avec "Le grand blanc de Lambaréné" (1995) de Bassek Ba Kobhio, et le "Damier" (1996) de Balufu Bakupu Kanyinda.

Le grand blanc de Lambaréné _ Le célèbre docteur Schweitzer, vu par un enfant d’abord admiratif puis critique et, à travers lui, par le peuple africain

L’action de coproduire qui est indispensable au développement des cinématographies s’appuie sur une réflexion objective. Aucun pays d’Afrique noire en dehors de la République Sud-africaine ne dispose à lui tout seul de suffisamment de moyens financiers et techniques ni de ressources humaines. Par ailleurs, une meilleure intégration au niveau sous-régional voire régional devrait dans notre domaine jouer un rôle de soutien. Une nécessité économique liée aux coûts très élevés des films dus au paiement des moyens et des prestations techniques, sur la base des tarifs en vigueur dans les pays européens avec lesquels nous travaillons.

Cette situation trouve des solutions aujourd’hui avec des pays comme le Maroc, la Tunisie, l’Egypte ou l’Afrique du Sud, des possibilités qui pourraient permettre de baisser les coûts. Pour autant, la coproduction aura permis de faire " Le Silence de la forêt" (2003) de Didier Ouénangaré et Bassek ba Kobhio, "Tartina City" (2006) d’Issa Serge Coelo, "L’héritage perdu" (2010) de Christian Lara et Batépa (2011) d’Orlando Fortunato.

A côté de ces cinéastes, deux auteurs gabonais se démarquent. Imunga Ivanga qui compte une douzaine de films parmi lesquels "Dôlè" ( l’argent ) (2000) et "L’ombre de Liberty" (2006) et Henri Joseph Koumba Bididi avec "Les couilles de l’éléphant" (2000) et "Le collier du Makoko" (2011).

Les couilles de l’Eléphant _ Alevina est un homme politique de renom dans son pays. La campagne pour les élections législatives va commencer. Sa réélection n’est pas évidente ; même sa propre fille a rejoint le camp de ses adversaires... Aussi, l’état-major de son parti met-il tout en oeuvre pour assurer la victoire. Il fait venir de Paris un spécialiste du marketing politique, fils d’un de ses vieux amis politiques. Les choses auraient donc pu se passer normalement si Alevina, grand amateur de femmes, n’était pas tombé en panne... d’érection.

Le documentaire n’est pas en reste avec Alain Didier Oyoué Jean Michonnet une aventure humaine, (1998), "La forêt en sursis" (2002), "Promesse d’un nouvel eldorado" (2002), Roland Duboze Pierre de Mbigou, (1998), Antoine Abessolo Minko "Au commencement était le verbe" (2003) et "Itchinda ou la circoncision chez les Mahongwé" (2009). Certains de ces films auront un retentissement au plan international.

Dans le sillage de ces auteurs, s’activent de nouveaux talents qui réaliseront des courts-métrages de fiction et documentaires, parmi eux Karine Yèno Anotho avec "Gloria" (2001), Nadine Otsobogo Boucher avec "Songe au rêve" (2006) et Il était une fois à "Naneth" (2008) ; Manouchka Kelly Labouba avec "Michel Ndaot : entre ombres et lumières", (2008) et "Le Divorce" (2009) ; Fernand Lepoko avec "Maléfice" (2008) et Vyckoss Ekondo, une expression culturelle nommée "Tandima" (2008) ; Pol Minko "De fils en aiguilles, le parcours d’un artiste", (2008) ; Roger Mavoungou Edima Lybek, "le croqueur du vif", (2008) ; Olivier Rénovat Dissouva "La Clé" (2011 ).

Le Divorce _ Dans la société traditionnelle africaine, le mariage n’est pas seulement l’union entre deux personnes mais plutôt entre deux familles. Elles sont seules habilitées à désunir ce qu’elles ont uni. Les jeunes générations doivent le comprendre, non pour le plaisir des familles respectives, mais surtout pour le respect des traditions. Magloire et Florence veulent divorcer. Mais pour que le mariage soit défait, il faut encore l’accord des deux clans.

Retour vers le futur

La consolidation de ces acquis passe nécessairement par une meilleure adéquation avec l’environnement économique. La réduction des financements institutionnels, l’incapacité des télévisions africaines à s’impliquer en tant que partenaires nous impose à appréhender autrement l’économie du cinéma. Il reste que la quasi inexistence d’un réseau de salles sur l’ensemble du territoire et la vente libre des films contrefaits peut être un frein à tous ces efforts.

Dans cette optique il est mis davantage l’accent sur l’utilisation des nouvelles technologies, notamment sur le numérique, à la fois dans les modes de production et de diffusion afin d’augmenter la capacité à produire la propre culture gabonaise, combler le déficit des modèles de référence pour les jeunes générations, sans faire l’impasse sur l’artistique.

Cela s’accompagne également d’une démocratisation de l’exercice du 7ème art et de la vidéo au Gabon. Déjà au début des années 90 des auteurs nés du clip vidéo, notamment André Ottong "La Cithare", "Sy", "La Chambre des filles" et Patrick Bouémé Shanice ont eu à réaliser des films et des séries télévisées. On peut considérer aujourd’hui, qu’il existe une sorte de cinéma « underground », avec parfois quelques réussites populaires. Un phénomène qui va grandissant et qu’il faut prendre en compte, compte tenu de la ferveur populaire qu’il suscite. Des auteurs tels Maggic Youngou "Cap Estérias" (2010), Dominique Donatien Mboumba "Fantomas" (2011), Van Mabadi "Amour ou sentiment" (2011) et Melchy Obiang Kongossa, "L’amour du diable" (2011) l’ont encore prouvé récemment. Mais si l’on peut leur accorder du mérite, il leur reste encore à apporter davantage de rigueur professionnelle à leurs propositions.

Amour et sentiment _ Tiffany mène une relation sentimentale sans faille avec Warren, Jusqu’au jour ou elle surprend ce dernier en train de faire l’amour avec Jessica une collègue de travail à elle. Derrière cet acte de trahison elle découvre un Warren complètement imbu de sa personne, attitude qui la déboussole totalement à tel point qu’elle tente de se suicider. Elle est mise hors de danger grâce à des soins médicaux financés par Ben, un monsieur qu’elle a longtemps repoussé. Par reconnaissance, elle donne une chance à ce dernier. Au moment ou elle regagne gout à la vie aux cotés de Ben, Warren refait surface.

D’autres jeunes talents s’affirment avec des films de facture internationale tant dans le documentaire que la fiction, ils appartiennent à la cinquième génération issue des classiques. Il s’agit d’Alice Atérianus Owanga "Les nouvelles écritures de soi" (2010), Murphy Ongagna "Home studio" (2010), Pauline Mvélé "Accroche-toi" (2008), "Non coupables" (2011), Joël Moundounga "L’épopée de la musique gabonaise" (2011), Nathalie Y. Pontalier "Le maréchalat du roi dieu" (2011), Filip Vijoglavin "Une trompette au bord de mer" (2010), Marc Tchicot et Frank Onouviet "The Rhytm of my life (Au rythme de ma vie)" (2011) sélectionné au Short corner film du festival de Cannes 2011.

Au rythme de ma vie _ Ismael Sankara, rappeur vivant à Miami vient au Gabon rendre visite à sa famille. Il y rencontre deux jeunes musiciens et peut enfin produire son premier disque.