LE NANAR DU MOIS
« TOUCHE PAS A MON BINIOU »
Tiré d’un article de Nanarland.com
Bonnet rouge par ci ! Bonnet rouge par là !Tout le monde est près du bonnet. Mais rendons à Toutatis ce qui revient à Toutatis, c’est quand même en Armorique que le rouge a été mis pour la première fois. « Touche pas à mon Biniou ! » nous a semblé le film adéquat pour la défense des revendications bretonnes ..... même si cela n’a rien à voir.
Définir un véritable nanar comique, du moins au sens où on l’entend ici (à savoir, une mauvaise comédie qui fait malgré tout rire, essentiellement malgré elle) est parfois ardu. Mais avec « Touche pas à mon Biniou », nous sommes en présence d’un animal nettement plus redoutable : la comédie nanarde tirant sa qualité non pas de sa frénésie, mais de son incompétence technique même, sa fascination de son incapacité permanente à susciter un rire qui ne soit pas crispé, son rythme de son absence de rythme, son humour (involontaire) de son absence d’humour.
Sous des dehors de vaudeville indigent, c’est une sorte de trou noir comique qui nous est présenté ici : « Touche pas à mon Biniou » est donc une sorte de film méta-bergsonien, dont la qualité découle d’une raideur dans la raideur, le rire redevenant drôle du fait de sa propre inefficacité (enfin, drôle pour les spectateurs qui ne se sont pas suicidés entre temps.). « Touchepas à mon Biniou » présente une dimension éminemment tragique, du fait de la présence de Sim en vedette. Non pas que l’auteur de « Elle est chouette, ma gueule ! » soit un acteur calamiteux, bien au contraire mais c’est bien le gâchis intégral de son talent qui vient ici donner froid dans le dos au spectateur.
Le pire est encore que le personnage interprété par Sim aurait pu faire l’objet d’une bonne comédie : Gaëtan, le héros de « Touchepas à mon Biniou », est un ancien loup de mer aujourd’hui reconverti en hôtelier. C’est du moins ce qu’il aimerait faire croire : le zigoto, malgré sa panoplie de mataf, n’a en fait jamais navigué et il vit aux crochets de sa femme, Madame Kerlouette, horrible patronne d’un hôtel-restaurant douteux en bord de mer. Gaëtan ne vit que de l’argent de poche que lui donne la Thénardière, mais il souhaite se rendre à Paris pour assister à un match (on pourrait croire que c’est un match de foot, mais il s’agit en fait d’un championnat de belote). Notre héros va donc employer tous les stratagèmes possibles pour se procurer du grisbi, et cacher dans son biniou l’argent accumulé au cours des mois. Voilà pour le fil conducteur du film, qui dans les faits ne conduit rien du tout, tant le scénario vogue d’une situation à l’autre à la manière d’un clochard en état de stupeur alcoolisée qui se cognerait contre les réverbères en marchant dans la rue.
Gag !
Le film réussit l’exploit de mettre en scène un ensemble de personnages potentiellement comiques et de les réunir dans des séquences si ratées que l’incompétence des auteurs à susciter le moindre rire en devient un sujet d’émerveillement. Une ou deux idées comiques surnagent parfois, comme des bouteilles à la mer, au milieu de scènes aussi plates et mornes que des marais embrumés. Un car de touristes débarque à l’hôtel, ce qui apporte matière pour de nouveaux gags, notamment via les efforts d’un gros beauf méridional (Henri Génès) pour draguer tout ce qui porte jupon.
Henri Génès.
Comme le scénario ne fait absolument aucun effort pour lier les histoires respectives de Gaëtan et de son biniou d’une part et des touristes de l’autre (à part le fait que Sim et Henri Génès participent ensemble à certains gags), le film s’égare dans ses fils conducteurs parallèles, pour s’emmêler les pieds dedans et s’étaler par terre dans les grandes largeurs. Comme si ça ne suffisait pas, le scénario nous rajoute ensuite un autre subplot, avec l’ami de Gaëtan, Gus (Gérard Croce), livreur de chocolat (?) qui emmène notre héros dans sa carriole perpétuellement vide pour aller mater des clientes qui se baignent nues dans leurs piscines. Ce qui donne lieu à l’un des moments anthologiques du film : à cause d’un chien, la carriole tombe finalement dans la piscine, et Gaëtan le marin d’eau douce, qui ne sait pas nager, flippe comme un malade. La carriole, qui est en métal et se trouve à l’avant d’une motocyclette, devrait couler instantanément mais, par un étrange caprice de la physique, elle flotte au milieu de la piscine, avec un Sim terrorisé à l’intérieur de la boîte.
Apparemment ravi de son gag, Bernard Launois le fait durer. Et ça dure, mais ça dure ! En une espèce de distorsion de l’espace-temps que n’aurait pas osé Jacques Tati dans ses moments les plus audacieux de comique conceptuel, la scène de la carriole dans la piscine semble durer quelque chose comme un quart d’heure, pour un gag qui aurait gagné en efficacité en ne prenant que trente secondes de temps de film. Une sorte d’angoisse métaphysique nous étreint devant ce gag, réduit à néant par sa propre absence de rythme, et pourtant érigé sur le piédestal habituellement réservé aux sommets de l’humour.
Et les acteurs, ils sauvent le film ? Bah non. Les vétérans comme Sim, Gérard Croce, Henri Génès, Robert Rollis (ex de la troupe des Branquignols) ou Florence Blot (Mme Kerlouette) assurent à peu près correctement en fonction de ce qu’ils ont à faire, mais le reste du casting est constellé de comédiens tous plus mauvais les uns que les autres, qui semblent faire un concours à celui qui foirera le plus ses effets comiques. Le bonnet d’âne revient ex æquo à Evelyne Broussolle (la femme de chambre de l’hôtel) et Nicole Pescheux (la conductrice de car féministe qu’Henri Génès tente vainement de draguer), qui ravagent littéralement toutes les scènes où elles apparaissent, réduisant presque à néant par leur seule présence le talent de leurs partenaires. Entre la consternation diffuse répandue par le scénario et l’intense degré de craignosité irradié par une partie du casting, nous ne sommes pas loin de basculer dans l’horreur totale.
Des quiproquos vaudevillesques qui eussent déjà semblé ringards en 1942.
Que dire de plus ? Tourné dans le Calvados (on s’attendait plutôt à la Bretagne, au vu du titre), le film n’est pas loin de faire à la Normandie la pire des contre-publicités. Ciel grisâtre et plages moches (mais c’est sans doute une illusion d’optique liée à la déconfiture ambiante de l’oeuvre), la Basse-Normandie passe pour un no man’s land de beauferie sinistre en phase terminale : où est donc passé l’antique duché des vikings ?
Des descendants des guerriers normands.
Terrifiant enchaînement de quiproquos assommants et de conneries diverses aboutissant sur un vide intellectuel sidéral, « Touche pas à mon biniou » porte à la comédie française un coup en traître, avant de l’achever à coups de pieds. Peut-être ce film fait-il partie, avec « Devil Story : Il était une fois le diable », d’un diptyque conceptuel ? Bernard Launois avait-il pour vocation d’inverser les conventions artistiques en tournant des films d’horreur qui font rire, et des comédies qui font peur ? Si c’est le cas, ce génie incompris mérite un grand bravo. Mais attention aux malheureux qui voudraient se risquer à tel visionnage, c’est de l’extrême qui demande un assez bon esprit.
Quant au fameux biniou du titre, c’est une cornemuse. Sur ce, je vous quitte, je vais noyer mon chagrin dans le Calva.